no0 Miscellanées
Vies & mort des piscines Tournesol
Plus de quarante-cinq ans après avoir été lauréate d’un concours comme on n’en fait plus et construite à plus de 180 exemplaires un peu partout en France, la piscine Tournesol est une particularité architecturale qui renvoie à l’âge d’or de la préfabrication industrielle et du plastique aux couleurs pop. Aujourd’hui, pour de bonnes & de mauvaises raisons, la tendance est au démontage et les Tournesols disparaissent peu à peu. Mais pas toutes.
︎︎︎︎︎ Invasions de Charles Pétillon
On raconte que l’histoire de la piscine Tournesol commence par un cuisant échec, celui de l’équipe française de natation aux Jeux Olympiques de 1968 à Mexico qui revient avec une seule médaille de bronze. La République humiliée sur l’autel de la compétition sportive aurait pris conscience à cette occasion que si les français sont mauvais en natation, c’est avant tout parce qu’il y a trop peu de piscines couvertes et chauffées permettant une pratique sérieuse en toute saison. Pour y remédier, le secrétariat d’État chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs de l’époque lance dès l’année suivante un appel à projets hors-norme, sous le nom explicite de Mille piscines, pour la construction centralisée d’un millier de piscines olympiques à déployer dans les communes françaises.
︎︎︎︎︎ Invasions de Charles Pétillon
On raconte que l’histoire de la piscine Tournesol commence par un cuisant échec, celui de l’équipe française de natation aux Jeux Olympiques de 1968 à Mexico qui revient avec une seule médaille de bronze. La République humiliée sur l’autel de la compétition sportive aurait pris conscience à cette occasion que si les français sont mauvais en natation, c’est avant tout parce qu’il y a trop peu de piscines couvertes et chauffées permettant une pratique sérieuse en toute saison. Pour y remédier, le secrétariat d’État chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs de l’époque lance dès l’année suivante un appel à projets hors-norme, sous le nom explicite de Mille piscines, pour la construction centralisée d’un millier de piscines olympiques à déployer dans les communes françaises.
Mille piscines décapotables
Le cahier des charges rédigé pour l’ambitieux concours lancé en 1969 insiste sur la nécessité de construire en grand nombre et rapidement, ce que facilite la préfabrication des bâtiments à l’échelle industrielle. Les solutions de conception technique proposées par les candidats doivent inciter les petites et moyennes villes à s’équiper sans pour autant devoir se lancer dans de coûteuses études préalables. Pour cette raison, le programme est organisé entièrement par un État seul maître d’ouvrage. Il se charge de sélectionner les projets et d’en assurer la faisabilité future en proposant un produit clé en main et des facilités de financement, notamment via la Caisse des Dépôts. D’aucuns notent à juste titre que ce programme, issu d’une politique hyper volontariste, est l’un des témoignages les plus représentatifs de la centralisation administrative et comptable de la France d’avant 1980, c’est-à-dire avant les premières esquisses de décentralisation.
Au-delà la préfabrication imposée, ce qui est particulièrement intéressant à la lecture du cahier des charges réside dans l’obligation pour les candidats de concevoir un édifice pouvant s’ouvrir sur l’extérieur, par beau temps. Brillante idée tant ce besoin de modularité saisonnière — pensée pour proposer des complexes sportifs à la fois dédiés à l’éducation, à l’entraînement et aux loisirs — a façonné les systèmes constructifs et les propositions volumétriques des projets lauréats du concours.
Les mille piscines prévues n’ont de loin pas toutes été construites — nous y reviendrons — mais le programme eut un impact significatif en une dizaine d’années (1972 à 1982) sur l’amélioration de l’offre de piscines publiques en France. On estime que 600 à 700 équipements nautiques ont été construits suite aux deux appels à projets du programme : le premier pour des piscines dites économiques, le second pour des piscines dites transformables. Mais ces dernières, disposant de plusieurs bassins et prévues plutôt pour les quartiers des grandes villes, ne seront jamais construites.
Lors du jury, l’architecte Bernard Schoeller — alors associé de la fameuse agence d’architecture Arsène-Henry mais répondant en son nom propre — réalise l’exploit d’arriver à la première place dans les deux catégories, avec deux projets de coupoles pouvant s’ouvrir partiellement en coulissant sur elles-mêmes.
Le cahier des charges rédigé pour l’ambitieux concours lancé en 1969 insiste sur la nécessité de construire en grand nombre et rapidement, ce que facilite la préfabrication des bâtiments à l’échelle industrielle. Les solutions de conception technique proposées par les candidats doivent inciter les petites et moyennes villes à s’équiper sans pour autant devoir se lancer dans de coûteuses études préalables. Pour cette raison, le programme est organisé entièrement par un État seul maître d’ouvrage. Il se charge de sélectionner les projets et d’en assurer la faisabilité future en proposant un produit clé en main et des facilités de financement, notamment via la Caisse des Dépôts. D’aucuns notent à juste titre que ce programme, issu d’une politique hyper volontariste, est l’un des témoignages les plus représentatifs de la centralisation administrative et comptable de la France d’avant 1980, c’est-à-dire avant les premières esquisses de décentralisation.
Au-delà la préfabrication imposée, ce qui est particulièrement intéressant à la lecture du cahier des charges réside dans l’obligation pour les candidats de concevoir un édifice pouvant s’ouvrir sur l’extérieur, par beau temps. Brillante idée tant ce besoin de modularité saisonnière — pensée pour proposer des complexes sportifs à la fois dédiés à l’éducation, à l’entraînement et aux loisirs — a façonné les systèmes constructifs et les propositions volumétriques des projets lauréats du concours.
Les mille piscines prévues n’ont de loin pas toutes été construites — nous y reviendrons — mais le programme eut un impact significatif en une dizaine d’années (1972 à 1982) sur l’amélioration de l’offre de piscines publiques en France. On estime que 600 à 700 équipements nautiques ont été construits suite aux deux appels à projets du programme : le premier pour des piscines dites économiques, le second pour des piscines dites transformables. Mais ces dernières, disposant de plusieurs bassins et prévues plutôt pour les quartiers des grandes villes, ne seront jamais construites.
Lors du jury, l’architecte Bernard Schoeller — alors associé de la fameuse agence d’architecture Arsène-Henry mais répondant en son nom propre — réalise l’exploit d’arriver à la première place dans les deux catégories, avec deux projets de coupoles pouvant s’ouvrir partiellement en coulissant sur elles-mêmes.
︎︎︎︎︎ Projet de Bernard Schoeller, lauréat dans la catégorie piscine économique. Coupe, maquette et plan. Tous les principes de base de la future piscine Tournesol sont déjà là : ouverture par glissement de la coque, compacité de l’enveloppe, structure régulière, préfabrication des panneaux. Notons que la coupole était initialement prévue en acier corten doublée d’une isolation thermique et phonique. Source : inventaire général du patrimoine culturel — Conseil général de l'Essonne
︎︎︎︎︎ L’autre projet de Schoeller, catégorie piscine transformable, également lauréat. Mêmes principes mais dimensions et ouvertures plus généreuses pour abriter deux bassins et un bâtiment annexe pour l’entrée, les vestiaires,etc. Ce projet, au dessin particulièrement élégant, n’a jamais été construit à l’instar de la quasi-totalité des piscines transformables. Source : inventaire général du patrimoine culturel — Conseil général de l'Essonne
La plus grande coupole, de 50 mètres de diamètre, est prévue pour s’ouvrir de moitié. Chaque quart de la couverture est conçu pour pivoter sur (ou sous) son voisin, afin que l’ouverture suive la course du soleil au fil de la journée.
C’est cette ingénieuse conception héliotrope qui donnera son nom à la piscine Tournesol. La plus petite, de 35 mètres de diamètre, s’ouvre quant à elle sur un quart seulement. Cette ouverture fixe, évidemment placée au sud, sera portée à un tiers de la structure lors des études techniques préfigurant la fabrication du projet. Le premier projet n’ayant jamais été construit pour des raisons de coût, seule la petite coupole se verra nommée Tournesol, même si la conception de son enveloppe ne permet pas de suivre le soleil.
︎︎︎︎︎ La piscine Tournesol de Barlin (Pas-de-Calais) à l’époque de sa construction. Cette piscine fait partie des nombreux exemplaires tous identiques construits à l’époque. Elle n’existe plus aujourd’hui. Source
Tournesol, bien que lauréate, ne sera pas la seule piscine de ce programme à voir le jour. Les cinq meilleurs projets iront jusqu’au bout de la phase de conception, débouchant sur la construction d’une série de piscines originales et économiques aux noms un rien désuets : Iris, Plein-Ciel, Plein-Soleil, Caneton et donc Tournesol. Quelques 183 piscines identiques (ou presque) ont été édifiées en France sur le modèle du prototype de Schoeller construit en 1972 à Nangis, en Seine-et-Marne. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Tournesol ne sera pas la plus construite. Le projet Caneton, de conception plus classique et plus économique, arrivé deuxième au concours a été davantage déployé sur le territoire avec 196 constructions recensées.
Objet industriel
D’un diamètre de 35 mètres pour une hauteur de seulement six, l’ensemble de la piscine Tournesol se réduit à une coupole auto-portée, légère et indépendante, soutenue par une structure d’arcs en acier se rejoignant sur une couronne centrale qui fait aussi office de pivot mécanique. La première de ses grandes qualités réside dans le fait que le projet est davantage un objet singulier et compact qu’un bâtiment. Il peut se monter simplement et rapidement sur n’importe quel terrain plat prêt à accueillir la longrine circulaire en béton, sur laquelle reposeront les 36 arcs métalliques de la structure. La seconde de ses qualités est à chercher du côté de sa toiture escamotable, de conception évidente et rigoureuse, sublimée par le mouvement circulaire des deux immenses tuiles mobiles laissant apparaître en été quelques 350 mètres carrés de ciel bleu au-dessus du bassin.
D’un diamètre de 35 mètres pour une hauteur de seulement six, l’ensemble de la piscine Tournesol se réduit à une coupole auto-portée, légère et indépendante, soutenue par une structure d’arcs en acier se rejoignant sur une couronne centrale qui fait aussi office de pivot mécanique. La première de ses grandes qualités réside dans le fait que le projet est davantage un objet singulier et compact qu’un bâtiment. Il peut se monter simplement et rapidement sur n’importe quel terrain plat prêt à accueillir la longrine circulaire en béton, sur laquelle reposeront les 36 arcs métalliques de la structure. La seconde de ses qualités est à chercher du côté de sa toiture escamotable, de conception évidente et rigoureuse, sublimée par le mouvement circulaire des deux immenses tuiles mobiles laissant apparaître en été quelques 350 mètres carrés de ciel bleu au-dessus du bassin.
‘Notre centre nautique, comme la mairie l’appelait pompeusement, était une piscine Tournesol, en forme d’igloo moderne avec des hublots. Sa structure permettait, quand le temps était beau, d’en ouvrir une partie au grand air.’
︎ Le premier été, Anne Percin, éditions du Rouergue, 2011
Pour autant, au début des années 1970, la faisabilité de ce projet aux airs de soucoupe volante ne va pas de soi. Il faut trouver comment tenir ce dôme, comment faire une enveloppe pérenne, comment faire pivoter les panneaux amovibles, le tout dans un souci absolu d’économie. Le bureau d’études SERI, une filiale de Renault, se charge des études techniques du projet de Schoeller. La structure légère en treillis d’acier — que l’on voit nettement depuis l’intérieur — est l’œuvre de l’ingénieur Thémis Constantinidis, tout comme la clé de voûte au centre permettant à la coupole de tenir sans un seul poteau d’une part et de s’ouvrir à 120 degrés d’autre part. Sur ce point, le concept de Schoeller est respecté à la lettre : deux parties de la structure pivotent, en haut autour de la couronne qui remplit le rôle d’axe, en bas le long de rails courbes, fixés sur la longrine circulaire en béton et dont la forme permet de s’asseoir.
Les tuiles de couverture, initialement prévues en acier Corten, sont remplacées par des coques moins chères, composées de deux couches de polyester (pour l’étanchéité) enfermant au centre une fine mousse phénolique ininflimmable (pour l’isolation thermique), fabriquées par Matra Plastiques.
Pour parachever l’esthétique pop et futuriste de ce fleuron de la préfabrication française, la coupole se voit percée de larges hublots en plexiglas en forme de bulles.
Les revêtements des sols et du bassin, ainsi que l’aménagement intérieur de l’équipement, vestibule, vestiaires, poste de surveillance, etc. n’échappe pas à la rigueur industrielle et standardisée du projet. Jusqu’en 1977, l’entreprise Durafour, qui remporte le marché, construira ainsi en usine près de 90% des éléments constructifs des 183 piscines Tournesol installées sur le sol français et même peut-être quelques autres à l’étranger.
Pour parachever l’esthétique pop et futuriste de ce fleuron de la préfabrication française, la coupole se voit percée de larges hublots en plexiglas en forme de bulles.
Les revêtements des sols et du bassin, ainsi que l’aménagement intérieur de l’équipement, vestibule, vestiaires, poste de surveillance, etc. n’échappe pas à la rigueur industrielle et standardisée du projet. Jusqu’en 1977, l’entreprise Durafour, qui remporte le marché, construira ainsi en usine près de 90% des éléments constructifs des 183 piscines Tournesol installées sur le sol français et même peut-être quelques autres à l’étranger.
︎︎︎︎︎ Extraits du Flickr de David Roose, 2017
Ainsi, sur le papier, elles sont toutes rigoureusement identiques. Mais dans les faits, chacune a ses petites particularités, selon les besoins de la commune, le climat, la nature du terrain ou les fantaisies de l’architecte local en charge de l’implantation du projet. Parfois, des jeux ou des bassins extérieurs s’ajoutent, quand ce ne sont pas des bâtiments annexes, plus ou moins bien accolés à la structure circulaire. Au fil du temps, les matériaux et les aménagements doivent être entretenus, réparés et remplacés, ce qui offre toute une palette de variations allant des couleurs aux hublots en passant par l’aménagement des vestiaires.
︎ Vue d’une piscine Tournesol ouverte, à Saint-Astier. Extrait de carte postale, éditions René, 1987. Source
Déclin inévitable
En 1972, la piscine Tournesol est à la fois un prouesse technique et un aboutissement conceptuel qui ne manquent pas d’être salués. Sa conception séduit les conseils municipaux et autres syndicats mixtes jusqu’en 1982, date de sa dernière implantation à Carros, dans les Alpes Maritimes. Mais à la fin des années 70, le nombre de piscines Tournesol construites est bien en deça des 250 prévues par le plan national, à l’instar des autres modèles retenus pour constituer le parc de mille piscines en dix ans voulu par le ministère. Ce demi échec — les chiffres se situant entre 600 et 700 piscines construites selon les sources — est symptomatique dans l’histoire de l’architecture industrialisée. Le plus souvent, les concepts, les choix techniques, les assemblages, les cahiers des charges de ce type de projets se déprécient prématurément et les commanditaires se tournent vers d’autres solutions, plus contemporaines, plus variées, plus adapatées.
La piscine Tournesol n’échappe pas à cette malédiction : peu évolutive et globalement sous-dimensionnée, elle verra son attrait décroître rapidement après un pic de commandes en 1975, tant et si bien que l’entreprise Durafour en proie à des difficultés financières cesse de la fabriquer en 1977, cinq années seulement après avoir commencé à produire les fameuses tuiles de polyester dans son usine. Les matériaux restant seront stockés et écoulés au cours des années suivantes.
Vingt-cinq ans plus tard, plusieurs milliers de baigneurs, petits et grands, ont usé les petits carreaux de céramique de chacune des piscines Tournesol. Vingt-cinq ans, c’est aussi la durée de vie — modeste — prévue par les promoteurs du projet. Quelques-unes ferment leur accès au public et commence à se poser alors la question du maintient ou non de ces édifices d’un autre âge. Durant ces années, beaucoup de ces structures ont vu leurs équipements intérieurs transformés ou remplacés, des travaux d’étanchéité et d’isolation ont été effectués à plus ou moins grande échelle, certaines entreprises s’étant même spécialisées dans les travaux appliqués à la piscine Tournesol. Mais au début des années 2000, c’est la conservation à moyen-terme de ces objets, dont on assume mal l’esthétique datée, qui est remise en cause.
Les projets issus du programme Mille piscines ont été conçus dans un contexte qui prévélégiait la rapidité et l’économie de la construction au dépend de la durabilité, qui n’était clairement pas l’un des critères prioritaires de l’époque. Le fait que ces projets ait tous eu recours à d’importants procédés de préfabrication, donc de matériaux économiques et d’assemblages parfois médiocres ne fait qu’empirer les affres du temps.
La piscine Tournesol est vétuste et obsolète pour plusieurs raisons directement inhérentes à sa conception. Tout d’abord, les matières plastiques vieillisent prématurément, surtout lorsqu’elles sont en contact avec les agressions climatiques, ce qui est le cas sur l’ensemble de la couverture de l’édifice, produisant décoloration, durcissement, porosité et fuites, voire risques d’effondrement. Ensuite, malgré la présence d’une symbolique couche de mousse dans le complexe de toiture, la piscine Tournesol est une bonne grosse passoire thermique qui allourdit sensiblement les factures de chauffage du bassin et des locaux. En trente ans, les considérations environnementales et l’augmentation du coût de l’énergie auront poussé les administrations locales à se demander s’il est encore bien raisonnable d’exploiter un équipement tellement gourmand en énergie et aux normes dépassées — le chiffre de 120 000 € de coût de fonctionnement annuel est avancé. À tout ceci s’ajoutent encore d’autres joyeusetés, tels que d’importants risques d’inflammabilité de la coque et un volume sonore intérieur assourdissant.
La dernière raison qui précipite la chute inévitable de ces braves Tournesol est imputable à l’époque. En effet, les attentes toujours plus élevées des usagers et le regroupement de communes en EPCI capables de financer de vrais centres nautiques, avec plusieurs bassins, des spas, des saunas et autres toboggans, précipitent la décision des municipalités de se séparer de leurs piscines vieillisantes. La plupart du temps, les piscines Tournesol disparaissent dans une relative indifférence en quelques jours à l’aide de mâchoires, pelleteuses et autres bulldozers.
En 1972, la piscine Tournesol est à la fois un prouesse technique et un aboutissement conceptuel qui ne manquent pas d’être salués. Sa conception séduit les conseils municipaux et autres syndicats mixtes jusqu’en 1982, date de sa dernière implantation à Carros, dans les Alpes Maritimes. Mais à la fin des années 70, le nombre de piscines Tournesol construites est bien en deça des 250 prévues par le plan national, à l’instar des autres modèles retenus pour constituer le parc de mille piscines en dix ans voulu par le ministère. Ce demi échec — les chiffres se situant entre 600 et 700 piscines construites selon les sources — est symptomatique dans l’histoire de l’architecture industrialisée. Le plus souvent, les concepts, les choix techniques, les assemblages, les cahiers des charges de ce type de projets se déprécient prématurément et les commanditaires se tournent vers d’autres solutions, plus contemporaines, plus variées, plus adapatées.
La piscine Tournesol n’échappe pas à cette malédiction : peu évolutive et globalement sous-dimensionnée, elle verra son attrait décroître rapidement après un pic de commandes en 1975, tant et si bien que l’entreprise Durafour en proie à des difficultés financières cesse de la fabriquer en 1977, cinq années seulement après avoir commencé à produire les fameuses tuiles de polyester dans son usine. Les matériaux restant seront stockés et écoulés au cours des années suivantes.
Vingt-cinq ans plus tard, plusieurs milliers de baigneurs, petits et grands, ont usé les petits carreaux de céramique de chacune des piscines Tournesol. Vingt-cinq ans, c’est aussi la durée de vie — modeste — prévue par les promoteurs du projet. Quelques-unes ferment leur accès au public et commence à se poser alors la question du maintient ou non de ces édifices d’un autre âge. Durant ces années, beaucoup de ces structures ont vu leurs équipements intérieurs transformés ou remplacés, des travaux d’étanchéité et d’isolation ont été effectués à plus ou moins grande échelle, certaines entreprises s’étant même spécialisées dans les travaux appliqués à la piscine Tournesol. Mais au début des années 2000, c’est la conservation à moyen-terme de ces objets, dont on assume mal l’esthétique datée, qui est remise en cause.
Les projets issus du programme Mille piscines ont été conçus dans un contexte qui prévélégiait la rapidité et l’économie de la construction au dépend de la durabilité, qui n’était clairement pas l’un des critères prioritaires de l’époque. Le fait que ces projets ait tous eu recours à d’importants procédés de préfabrication, donc de matériaux économiques et d’assemblages parfois médiocres ne fait qu’empirer les affres du temps.
La piscine Tournesol est vétuste et obsolète pour plusieurs raisons directement inhérentes à sa conception. Tout d’abord, les matières plastiques vieillisent prématurément, surtout lorsqu’elles sont en contact avec les agressions climatiques, ce qui est le cas sur l’ensemble de la couverture de l’édifice, produisant décoloration, durcissement, porosité et fuites, voire risques d’effondrement. Ensuite, malgré la présence d’une symbolique couche de mousse dans le complexe de toiture, la piscine Tournesol est une bonne grosse passoire thermique qui allourdit sensiblement les factures de chauffage du bassin et des locaux. En trente ans, les considérations environnementales et l’augmentation du coût de l’énergie auront poussé les administrations locales à se demander s’il est encore bien raisonnable d’exploiter un équipement tellement gourmand en énergie et aux normes dépassées — le chiffre de 120 000 € de coût de fonctionnement annuel est avancé. À tout ceci s’ajoutent encore d’autres joyeusetés, tels que d’importants risques d’inflammabilité de la coque et un volume sonore intérieur assourdissant.
La dernière raison qui précipite la chute inévitable de ces braves Tournesol est imputable à l’époque. En effet, les attentes toujours plus élevées des usagers et le regroupement de communes en EPCI capables de financer de vrais centres nautiques, avec plusieurs bassins, des spas, des saunas et autres toboggans, précipitent la décision des municipalités de se séparer de leurs piscines vieillisantes. La plupart du temps, les piscines Tournesol disparaissent dans une relative indifférence en quelques jours à l’aide de mâchoires, pelleteuses et autres bulldozers.
︎ La piscine de Douvrin (Nord) est vide et abandonnée depuis 2004. Encore en place aujourd’hui pour le plus grand bonheur des amateurs d’urbex, elle présente la particularité d’avoir des parois doublées à l’intérieur et des ouvertures rectangulaires. Photo Séverine Courbe
Secondes vies
Conscient de certaines des faiblesses du projet, Bernard Schoeller avait lui-même réfléchi dans les années 70 à une utilisation alternative et modulable de sa coupole en plastique afin de redonner une impulsion aux commandes en berne.
Conscient de certaines des faiblesses du projet, Bernard Schoeller avait lui-même réfléchi dans les années 70 à une utilisation alternative et modulable de sa coupole en plastique afin de redonner une impulsion aux commandes en berne.
︎ Ce projet de Schoeller propose d’utiliser l’édifice de la piscine Tournesol comme un cercle de loisirs, concept alors assez nouveau, permettant d’accueilir divers évènements en rapport avec le sport et la culture. Un bâtiment annexe lui est ajouté pour accueillir l’entrée, les vestiaires, les locaux techniques, etc. et dégager ainsi tout le volume sous la coupole. Extraits de la revue Architecture Intérieure CRÉÉ, 1978. Source
Après tout, Tournesol pouvait peut-être abriter autre chose qu’une piscine et sa forme n’était pas forcément immuable. Apparue trop tard, cette proposition n’a séduit aucune municipalité au point d’en envisager la construction, mais elle a eu le mérite de prouver que la conception initiale du projet n’était pas aussi rigide qu’elle pouvait le laisser paraître, ce qui se vérifiera trente ans plus tard.
Après l’an 2000, quelques communes commencent à considérer des rénovations, des ajouts de spas et de bassins ludiques. On envisage des projets de patinoire, de clubs d’arts martiaux. Car, bien que sérieusement initiée, la disparation des piscines Tournesol n’est pas pour autant une fatalité. Quelques fois, quand la volonté politique et les finances des pouvoirs publics locaux ne font pas défaut, les vieilles piscines Tournesol retrouvent peu ou prou leur jeunesse d’antan.
Il y a, tout d’abord, des rénovations dites énergétiques — et donc économiques — qui ne se voient presque pas mais qui assurent aux piscines quelques années d’espérance de vie supplémentaires. À Lisses dans l’Esonne, par exemple, la commune a fait le choix de remplacer la chaufferie pour en installer une nouvelle récupérant les calories présentes dans les eaux usées de la commune.
Il y a aussi des opérations plus visibles qui consistent à remplacer le dôme en plastique par une toîture métallique, souvent en zinc, mieux isolée et avec des ouvertures plus généreuses que les hublots originels. À Tarbes, la coque de polyester est démontée au profit d’un complexe de toiture isolant, recouvert d’une couverture en zinc à l’extérieur et d’un platelage en bois à l’intérieur. Les hublots sont quant à eux remplacés par de grandes baies et une large ouverture zénithale. Plus pérène et plastiquement plus contemporain, ce projet de rénovation livré en 2006 tire malheureusement un trait sur l’ingénieux système d’ouverture de la coupole qui a fait 40 ans plus tôt le succès du projet Tournesol.
Après l’an 2000, quelques communes commencent à considérer des rénovations, des ajouts de spas et de bassins ludiques. On envisage des projets de patinoire, de clubs d’arts martiaux. Car, bien que sérieusement initiée, la disparation des piscines Tournesol n’est pas pour autant une fatalité. Quelques fois, quand la volonté politique et les finances des pouvoirs publics locaux ne font pas défaut, les vieilles piscines Tournesol retrouvent peu ou prou leur jeunesse d’antan.
Il y a, tout d’abord, des rénovations dites énergétiques — et donc économiques — qui ne se voient presque pas mais qui assurent aux piscines quelques années d’espérance de vie supplémentaires. À Lisses dans l’Esonne, par exemple, la commune a fait le choix de remplacer la chaufferie pour en installer une nouvelle récupérant les calories présentes dans les eaux usées de la commune.
Il y a aussi des opérations plus visibles qui consistent à remplacer le dôme en plastique par une toîture métallique, souvent en zinc, mieux isolée et avec des ouvertures plus généreuses que les hublots originels. À Tarbes, la coque de polyester est démontée au profit d’un complexe de toiture isolant, recouvert d’une couverture en zinc à l’extérieur et d’un platelage en bois à l’intérieur. Les hublots sont quant à eux remplacés par de grandes baies et une large ouverture zénithale. Plus pérène et plastiquement plus contemporain, ce projet de rénovation livré en 2006 tire malheureusement un trait sur l’ingénieux système d’ouverture de la coupole qui a fait 40 ans plus tôt le succès du projet Tournesol.
︎ À Roussilon, une nouvelle couverture en zinc, de nouvelles ouvertures visibles sur la toiture, un bassin extérieur et un sas d’entrée. Image Google Maps
︎ L’intérieur de la ‘nouvelle’ piscine de Tarbes. On y voit une très large ouverture en haut du dôme et un habillage intérieur en bois objectivement bien plus chaleureux que l’ésthétique métal+plastique blanc des piscines Tournesol originelles. Mais ces choix techniques et plastiques se font au détriment de l’ouverture de l’édifice, qui n’est ici plus possible. Source : communauté d’agglomération du Grand Tarbes
Il y a enfin des rénovations totales, de celles qui transforment complètement l’édifice. Citons tout d’abord l’agence parisienne Arcos architecture, à l’œuvre dans les rénovations-extensions des piscines Tournesol de Grigny, de Mauguio ou encore de Blois. Cette dernière, livrée en 2004, soit exactement 30 ans après sa construction, comprend une extension qui permet d’offrir un volume entièrement libre et d’y abriter un bassin ludique supplémentaire, ainsi qu’une pataugeoire. La couverture du dôme est remplacée par un complexe métallique percé de larges ouvertures en parties haute et basse. L’extension abrite l’entrée, les vestiaires et les locaux techniques.
︎ La coupole de la piscine Tournesol de Blois (2004) est entièrement dédiée à la baignade, les autres locaux étant déportés dans un bâtiment en arc de cercle accolé. Cette disposition n’est pas sans rappeler le projet de Schoeller dans la catégorie ‘transformable’. Documents Arcos architecture
Pour la rénovation de la piscine Tournesol de Sens, dans l’Yonne, menée par TNA Architectes, le projet comporte également une extension pour gérer indépendamment l’entrée et les vestiaires. Mais l’idée de l’organisation de l’équipement est tout à fait inverse : il s’agit de matérialiser et d’aménager sous la coupole une limite franche entre le bassin d’une part et des locaux visiteurs d’autre part, ainsi que d’en profiter pour y installer un espace sauna-hammam. Livré en 2015, ce projet de 4 millions et demi d’euros réussit à s’approprier le Tournesol de Schoeller et à l’utiliser pour créer une structure contemporaine aboutie et assez élégante.
︎ Photos TNA & Agglomération du Grand Sénonais
Gardons le meilleur pour la fin. Et le meilleur, c’est une rénovation assez singulière à Lingolsheim, dans la banlieue de Strasbourg conçue par les architectes d’Urbane Kultur.
L’extension de cette piscine joue sur un plan en forme de boomerang, permettant de ceinturer la piscine Tournesol tout en créant une sorte de patio. L’idée est ici d’ouvrir le volume de la coupole, tant pour des besoins d’apports de lumière naturelle que pour la création judicieuse de vues. La forme de l’extension agit également comme un filtre entre l’équipement et les pavillons voisins, la piscine étant, comme beaucoup de Tournesols, intégrée directement dans des quartiers résidentiels peu denses où la maison individuelle est la norme.
L’extension de cette piscine joue sur un plan en forme de boomerang, permettant de ceinturer la piscine Tournesol tout en créant une sorte de patio. L’idée est ici d’ouvrir le volume de la coupole, tant pour des besoins d’apports de lumière naturelle que pour la création judicieuse de vues. La forme de l’extension agit également comme un filtre entre l’équipement et les pavillons voisins, la piscine étant, comme beaucoup de Tournesols, intégrée directement dans des quartiers résidentiels peu denses où la maison individuelle est la norme.
︎ Plan et maquette de la piscine de Lingolsheim. L’extension en forme de boomerang contient l’entrée, les vestiaires, les bureaux et les locaux techniques. Elle permet aussi de faire écran entre la piscine et les habitations voisines. Documents Urbane Kultur architectes
Le projet se démarque aussi plastiquement. La plupart des autres projets de rénovation des piscines Tournesol s’attachaient à casser — du moins à assagir — une esthétique très rétro-futuriste. Ici, c’est visiblement l’effet inverse qui est recherché, évoquant encore un imaginaire vaguement ufologique. Le résultat sonne comme un remake, une sorte d’hommage au projet de Schoeller.
Si les tuiles originelles en polyester sont remplacées par un complexe métallique comprenant une nouvelle couche d’isolant, elles sont cette fois-ci recouvertes à l’extérieur d’une membrane de caoutchouc noir. Une soixantaine de hublots ronds en résine percent cette forme sombre à l’aspect capitoné. L’intérieur de la coupole est tapissé quant à lui d’une résine acrylique blanche therformée et sans joint apparent lui donnant un aspect extrêmement lisse, homogène et lumineux. Exit la structure métallique apparente de toutes les autres piscines Tournesol intactes ou rénovées, celle de Lingolsheim est un cocon parfaitement lisse qui ne trahit aucun aspect technique.
Si les tuiles originelles en polyester sont remplacées par un complexe métallique comprenant une nouvelle couche d’isolant, elles sont cette fois-ci recouvertes à l’extérieur d’une membrane de caoutchouc noir. Une soixantaine de hublots ronds en résine percent cette forme sombre à l’aspect capitoné. L’intérieur de la coupole est tapissé quant à lui d’une résine acrylique blanche therformée et sans joint apparent lui donnant un aspect extrêmement lisse, homogène et lumineux. Exit la structure métallique apparente de toutes les autres piscines Tournesol intactes ou rénovées, celle de Lingolsheim est un cocon parfaitement lisse qui ne trahit aucun aspect technique.
︎ Piscine de Lingolsheim, architectes : Urbane Kulture, paysagiste : Bruno Kubler. Photos : Jean-Baptiste Dorner
Patrimoine & imaginaires collectifs
Voilà l’histoire de la piscine aux faux airs de soucoupe volante. Difficile de faire un état des lieux précis du parc aujourd’hui. Il semble pourtant inéluctable que la plupart des piscines Tournesol disparaîsse hormis celles dont nous avons parlé et quelques autres.
Toujours est-il que la piscine Tournesol demeure l’un des édifices construits en série les plus importants en France et qu’elle appartient à notre patrimoine architectural. Elle fait aussi partie de l’imaginaire de beaucoup de gamins qui ont grandi à côté ou ont appris à nager dedans. Son apparence incongrue faisait partie du paysage urbain de près de 200 localités. Aussi, elle demeure un témoignage saisissant d’une volonté politique particulièrement ambitieuse, symbole des Trente Glorieuses.
Trois de ces piscines ont été labellisées ‘Patrimoine du XXe siècle’ depuis l’an 2000, assurant, malgré l’absence d’une protection spécifique, une prise en compte la valeur patrimoniale des édifices à l’avenir. L’esthétique des années 60 connaissant aujourd’hui une sorte de retour de hype, il n’est pas impossible que les piscines Tournesol intéressent aujourd’hui collectionneurs et autres nostalgiques.
Voilà l’histoire de la piscine aux faux airs de soucoupe volante. Difficile de faire un état des lieux précis du parc aujourd’hui. Il semble pourtant inéluctable que la plupart des piscines Tournesol disparaîsse hormis celles dont nous avons parlé et quelques autres.
Toujours est-il que la piscine Tournesol demeure l’un des édifices construits en série les plus importants en France et qu’elle appartient à notre patrimoine architectural. Elle fait aussi partie de l’imaginaire de beaucoup de gamins qui ont grandi à côté ou ont appris à nager dedans. Son apparence incongrue faisait partie du paysage urbain de près de 200 localités. Aussi, elle demeure un témoignage saisissant d’une volonté politique particulièrement ambitieuse, symbole des Trente Glorieuses.
Trois de ces piscines ont été labellisées ‘Patrimoine du XXe siècle’ depuis l’an 2000, assurant, malgré l’absence d’une protection spécifique, une prise en compte la valeur patrimoniale des édifices à l’avenir. L’esthétique des années 60 connaissant aujourd’hui une sorte de retour de hype, il n’est pas impossible que les piscines Tournesol intéressent aujourd’hui collectionneurs et autres nostalgiques.
︎ Maquette de la piscine Tournesol, Cité de l’architecture, Paris
︎ Notes de l’auteur
Deux inventaires des piscines Tournesol existent sur Internet grâce à Wikipedia et à PSS. Malheureusement, en y regardant de plus près, on se rend compte que ces listes sont en partie erronées et manquent de mises à jour.
Si vous voulez savoir ce qu’est devenue la piscine de votre enfance, par exemple, les meilleurs moyens sont : la presse locale, Instagram et Google Street View.
︎ Quelques liens Le tag piscine Tournesol sur le blog Architectures de cartes postales et le tag Bernard Schoeller sur le blog As-tu déjà oublié ? sont de véritables références, tant pour les visuels de l’époque que pour les informations que l’on peut y trouver. Il existe également un blog dédié à la seule piscine Tournesol et un compte Instagram qui partage cette même monomanie : l’Affaire Tournesol. Plusieurs images de cet article proviennent de ces trois sources. Et si vous le trouvez trop long, il y a toujours la fiche synthétique (PDF) de la Cité de l’architecture.
Julien Béneyt